Et si les objets se réveillaient sous la plume…
Dans l’atelier, nous avons travaillé la personnification ou comment en accordant des caractéristiques humaines à un objet, une plante, un animal, une chose… on peut produire un effet littéraire intéressant. Deux exemples de texte écrits en atelier par Nelly et NAL.
Machine à caprices
« J’ai reconnu ton bip caractéristique. Du fond de l’appartement, le son aigu me parvient. Quel que soit l’endroit où je me trouve, tu t’arranges pour te faire entendre. J’accours pour voir ce qui se passe. Je viens d’appuyer sur le bouton de mise en route et tu ne devrais pas te manifester avant les deux prochaines heures, pour signaler la fin du programme. Tu bipes à nouveau, et, à l’emplacement indiquant le temps restant, un symbole en lettres noires clignote : « dE ».
Je te regarde interloquée. D’habitude tu te contentes d’un petit rappel à l’ordre. Toujours le même : le bouton de mise en route se bloque après quelques minutes, et tu bipes Cela m’oblige à revenir sur mes pas. Tu aimes bien avoir de la visite. Généralement, une simple pression suffit pour que tout rentre dans l’ordre. Mais ce matin, le problème est différent . Tu écris…
« dE » pour :
débordée ? Tu exagères peut-être un peu, nous ne sommes que deux dans cet appartement
Débandade ? Je ne trouve pas que la situation soit si dramatique
Débile ? C’est à moi que tu parles ?
Débrouiller ? C’est exactement ce que j’essaie de faire
Décidément ? Comme tu dis. Tous les lundis matins, jour de lessive, il y a un problème
Déchiffrer ? Je m’y efforce
Déconner ? Tout à fait d’accord avec toi
Décréter ? Et depuis quand décides-tu de tes horaires de travail ?
Défier ? Tu es très forte à ce petit jeu
Dégagement ? On en a déjà parlé, je ne peux pas te mettre ailleurs que dans ce bout de couloir
Délai ? J’ai bien compris qu’il ne faut pas être pressé ce matin
Délaissée ? Alors là, tu exagères, je viens te voir presque tous les jours
Délecter ? Oui tu peux te délecter du moment : je dois avoir l’air bête à te regarder fixement
Demain ? Par pitié, ne me laisse pas tomber ce matin
Démerder ? Parfaitement, je vais me débrouiller !
Dépêcher ? C’est le petit conseil que je te donne avant que je n’essaie la manière forte
Déranger ? Je te sens un peu agacée parfois par le locataire du dessus qui se dandine dans un mouvement lancinant et qui te tient chaud mais je ne le sollicite pas très souvent
Déprime ? Tout le monde est déprimé le lundi. Ne la joue pas perso
Désespoir ? Les grands mots tout de suite …
Déshydratation ? Non c’est impossible. Je sais qu’il fait très chaud mais avec toute l’eau que tu avales, j’ai du mal à y croire
Devinette ? J’ai bien compris que tu as envie de jouer ce matin !
Et pour mettre fin à ce petit jeu, je tourne les talons. Reste dans ton coin avec ton message codé. Vexée que je t’abandonne, tu bipes à nouveau. Je feins de ne rien entendre, j’ai décidé de ne pas m’énerver avec toi.
Quand je reviens te voir quelques heures plus tard, tu es silencieuse. Aucun signe de vie. Je fais plusieurs tentatives pour te ranimer mais tu m’ignores. Pas de doute, tu es rancunière. De guerre lasse, je menace d’appeler le propriétaire pour te remplacer. Tu émets alors un petit signal sonore pour me dire que tu as compris. Le bouton de mise en route s’allume et semble attendre mes instructions. Tu es prête à te remettre à l’ouvrage sans rechigner. Depuis ce jour, je ne t’appelle plus machine à laver mais machine à caprices. » Nelly
La maîtresse de mon mari
« Bien avant que notre histoire ne démarre, mon mari avait déjà rencontré celle qui serait sa maîtresse jusqu’à aujourd’hui et probablement qui le resterait jusqu’à ce que mort s’en suive. Ils se sont rencontrés il y a plus de 30 ans à Barcelone et je crois pouvoir dire sans me tromper que le coup de foudre fut immédiat. À tel point que mon mari décida sur le champ de l’enlever et de l’emporter en France. Je crois aussi qu’à l’époque ils ont traversé les Pyrénées ensemble et ont sillonnés, cheveux au vent, les petites routes de France jusqu’à Paris.
Déjà à l’époque il vantait les courbes parfaites de celle qu’il surnommait la « mon tchichi ». Habillée par Pininfarina, elle n’était pourtant pas de première jeunesse et je m’étonnais que l’on puisse tant s’attacher à une quarantenaire qui avançait lentement, capricieuse, à l’odeur plus que douteuse. En effet à cette époque elle dégageait une senteur très particulière de plastique chauffé et de moisi mêlé à des effluves d’essence.
Ce n’est que beaucoup plus tard, lorsque les finances de mon mari le lui permirent, qu’il lui offrit un ravalement complet et la recouvrit du cuir le plus élégant qu’il pu trouver sur le marché. Une nouvelle vie s’offrit à elle, admirée, enviée, elle resplendissait au soleil dans sa peau neuve. C’est de ce temps-là d’ailleurs que je peux dater son côté « princesse capricieuse ». Féminine jusqu’au bout des ongles et jalouse comme une tigresse elle refusait de démarrer dès que j’étais en compagnie de mon mari.
Aussi à sa plus grande joie, je passais mon temps à la pousser, pour qu’elle avance. Je savais que ma présence la dérangeait et elle se vengeait de manière bien cruelle. Réglée comme du papier à musique et même hors de ma présence, elle refusait de démarrer tous les 28 du mois comme pour rappeler à son maître qu’il se devait de respecter son cycle féminin.
Ainsi après son passage en chirurgie esthétique, mon mari fit appel à différents médecins, qui n’ont jamais trouvé l’origine de ses maux. Moi seul savais le mal qui la rongeait : la jalousie. Aussi depuis ce jour, j’ai décidé de ne plus rentrer dans son intimité, de lui laisser mon mari le temps d’un instant et de prendre un amant tout petit, rouge et rapide. Les problèmes de santé de la maîtresse de mon mari se sont depuis lors envolés. » NAL