La lecture de fiction nous rendrait plus capable d’empathie ?
La preuve en trois livres.
Tout le monde s’accorde sur le fait que la lecture a de multiples vertus : amélioration de la mémoire, de la concentration, de la culture, de la capacité d’analyse, du vocabulaire, vertu anti-stress…
Des chercheurs ont aussi établi que la lecture de roman (ou autre fiction) augmentait les capacités d’empathie ! A se demander si cela ne serait pas un remède à l’individualisme ambiant, voir à la fracture sociale ?
Démonstration en trois romans que je vous recommande, ou comment entrer dans le ressenti/les pensées, joies et peines d’autres que, pour certains, nous croisons parfois chaque jour sans les comprendre ou même les voir :
« Les raisons de mon crime » de Nathalie Kuperman.
L’héroïne de l’histoire reconnecte de manière fortuite avec une cousine adulée dans l’enfance et depuis perdue de vue. Un monde les sépare, semble-t-il. Et l’héroïne veut en savoir plus, pourquoi n’écrirait-elle pas un livre pour tenter de comprendre comment cette cousine belle et pleine de promesse a pu devenir cette femme méconnaissable et alcoolique ? Mais voilà qu’en découvrant l’histoire de sa cousine, de sa douleur, elle va s’approcher de la sienne, de cette ombre commune, partagée, et être tour à tour traversée de dégoût, de colère, de fascination… Mais comment passer du jugement, du regard extérieur à l’ouverture, voir à l’amour ? En accueillant la fragilité que l’autre réveille en soi ? Condition pour que le livre puisse être ?
« Arrivent les larmes, séchées par le sopalin que Martine replis pour ne pas gaspiller et qu’elle repose sur la pile, s’ensuit un énième verre de blanc coupé à l’eau, viennent les larmes qui épongent la peine. Je suis déchirée, Martine me déchire, et elle forte au point qu’elle me fait douter de qui je suis vraiment. Je n’ai ressenti cet effondrement devant personne d’autre. Ma cousine m’empoisonne, me guette et me surprend. Le même sang coule dans nos veines, le même poison, la même saloperie d’exister. »
On en ressort plus riche.
« Les raisons de mon crime » de Nathalie Kuperman – Gallimard 2012. Folio.
« Frère des astres » de Julien Delmaire
Ou comment on suit un jeune homme qui de pèlerin d’hier (inspiré de la vie de Saint Benoit) devient vagabond d’aujourd’hui, il a sa quête, nous le suivons sur les routes, les prés et chemins de France du Nord vers le Sud, il vit, dort, s’abime, se ressaisit, s’arrête, travaille, se lie d’amitié, repart.
Il pourrait être un SDF mille fois croisé, mille fois ignoré, mais voilà, sous la belle écriture de Julien Delmaire (qui m’a plusieurs fois fait penser à des tableaux de Van Gogh), il est quelqu’un, il avance vers une lumière qu’il ne peut trouver qu’en se dessaisissant. Et nous marchons à côté de lui. Un respect pudique s’installe au fond de nous qui s’étend petit à petit à tous ces autres croisés, ceux qui vivent dans la rue, voilà qu’ils ont tout d’un coup tous une histoire, comme chacun de nous, ils ne sont plus un SDF, ils deviennent une personne, un sujet, on s’en approche un peu, au moins par le cœur, notre regard sur eux n’est plus le même.
« Il va falloir raconter cette peau coloriée au pastel de l’enfance et l’effroyable beauté de ce visage que l’usure, la faim, la faim, ne dissuadèrent pas de sourire, pour recevoir chaque matin le baptême des rosées, l’onction acide des pluies. Ce visage qui souriait aux abeilles, aux rats, aux gamins des dunes et à chacun de nous. Cette âme, cette peau, ce visage avaient un nom. Un nom de famille, même. Comme chacun de nous. Ce nom a été oublié, quelque part, dans les plis de l’époque. Nous l’appellerons : l’enfant, le pèlerin, le marcheur, le pauvre, le pouilleux, le délabré… Le plus souvent, nous l’appellerons Benoît. »
« Frère des astres » de Julien Delmaire – Grasset 2016.
« Nestor rend les armes » de Clara Dupont Monod
Ou comment nous rencontrons un homme à l’intérieur d’un corps obèse.
Il est lourd, son corps peine à monter les escaliers, manger est un rite qui recouvre bien des douleurs, les endort peut-être, mais qui est-il vraiment ? Que ressent-il ? Argentin à Paris ? Que va-t-il faire chaque jour dans cet hôpital ? Clara Dupond Monod s’approche de lui avec nous et à mesure que nous avançons dans son livre, se détruisent un à un tous nos stéréotypes, nos jugements à l’emporte-pièce. Plus, nous sommes soudain gênés, honteux de ce que nous avons pu penser jusque-là. Une remise en question, une culpabilité utile j’oserais dire, puisqu’elle nous conduit vers davantage d’humanité : l’homme Nestor à l’intérieur de son corps trop gros prend vie et avec lui le regard que nous souhaitons désormais poser sur lui et d’autres pareils.
« Parfois il se disait que les émotions ne pouvaient plus atteindre son cœur à cause des barrages de graisse à franchir. Alors, pensait-il, il valait mieux ne pas maigrir. Il serait terrassé par une rafale d’émotions enfouies dans ses plis. Il était une boîte fermée. »
« Nestor rend les armes » de Clara Dupont Monod Ed.Sabine Wespieser. 2011