J’ai envie de dire: il faut lire Imre Kertész !
Presque une injonction…
J’ai lu coup sur coup deux livres de lui :
« Kaddish pour l’enfant qui ne naitra pas »
et
« Être sans destin »
J’ai été séduite par l’intelligence qui pétille derrière les mots, les phrases belles et sinueuses, l’humour, sa réflexion. Il aborde des sujets graves (la déportation, la faim, la souffrance…) mais avec une pudeur qui nous permet de mettre nos pas dans les siens.
Dans le premier livre « Kaddish pour l’enfant qui ne naitra pas », Kertész ausculte son histoire pour remonter à la racine de son non-désir d’enfant. Pourquoi ce qu’il a découvert de l’humain l’empêche en quelque sorte de devenir père à son tour. Texte brillant et truffé d’humour, c’est aussi une réflexion profonde sur l’enchainement des évènements qui ont fait de lui ce qu’il est, et en filigrane sur ce qu’être un homme veut dire. Il s’y interroge sur l’amour, le bonheur, la liberté, le bien, le mal… Il affirme que pour lui, le mal, son avènement, l’enchainement qui le provoque s’explique toujours en quelque sorte, il suffit d’observer ce qui advient quand s’accumule égoïsme, cupidité, haine… Dit-il. Mais c’est la bonté, ajoute-t-il qui demeure mystérieuse, qu’il ne s’explique pas, surgissement magnifique, imprévisible du cœur de l’homme…
Le second livre que j’ai lu de lui « Être sans destin » raconte l’histoire d’un jeune garçon de quinze ans, juif hongrois déporté à Auschwitz en 1944 puis à Buchenwald.
Roman et autobiographie tout à la fois, son livre s’attache à décrire minutieusement le quotidien, le déroulement des journées, les déplacements à pieds, en train, en charrette, l’heure des repas, le contenu des gamelles, ou leur absence de contenu, les sensations physiques, les émotions, les amitiés même… Il laisse la parole aux faits. Il nous livre aussi de temps à autre les pensées du jeune garçon face à ce qu‘il vit et cela nous invite à notre tour à penser ce qu’il nous donne à voir. Kertész vient toucher au plus près une question qui nous habite et que pourtant nous ne nous prenons pas la peine de nous poser, pas le temps, autre chose à faire. La question de l’être. Être vivant. Être humain ou ne plus l’être. Et il la pose avec une grâce littéraire, un art de la distance qui nous permettent de le suivre. Il nous emmène au camp de concentration non pas en faisant de nous des voyeurs, les spectateurs d’un théâtre d’horreurs mais en faisant de nous des témoins. Et c’est bien autre chose. Il le dit lui-même : « Je hais la peinture des horreurs. Ce qui m’intéresse, c’est la distance. » Pas de grand discours. Surtout des réalités décrites minutieusement, des faits qui s’enchainent et dont on voit qu’ils façonnent l’homme à son insu.
Imre Kertész, a reçu le prix Nobel de Littérature en 2002. (Il est décédé cette année).
On ressort de ses livres grandi, avec l’envie d’en parler autour de soi, de crier qu’il ne faut pas oublier que l’homme est capable de nier l’homme. Et que chacun de nous est responsable, que chacun a sa part à faire pour que cela cesse, ne se reproduise plus.
« Kaddish pour l’enfant qui ne naitra pas » et « Être sans destin » traduits et publiés chez Actes Sud.